29 mars 2024

« La isla minima », un polar ibérique brûlant

C’est au fin fond de l’Andalousie que le réalisateur espagnol Alberto Rodriguez a choisi de tourner son sixième film, un polar saisissant récompensé de 10 Goyas, équivalent espagnol des Césars français. On se retrouve plongé au cœur de l’Espagne post-franquiste des années 80, dans un village lugubre dont chaque adolescent rêve de s’enfuir. Et dans ce microcosme oppressant, des crimes.

Encore embourbé dans un système où régnaient silence et secret, le village accueille deux policiers dépêchés sur place pour enquêter sur la disparition de deux jeunes filles pendant une fête locale. Deux personnages que tout oppose, mais qui ont tout de même en commun d’être mystérieux, taiseux, et surtout « punis » par cette affectation. Le plus jeune, Pedro Suarez (joué par un incroyable Raúl Arévalo plein de tension et de retenue) a été muté pour insubordination. Le plus âgé, Alberto Rodriguez (incarné à l’écran par Javier Gutiérrez Álvarez, comédien espagnol plusieurs fois primé) traîne avec lui la sombre réputation d’ancien agent du franquisme.

Au milieu des marécages et des étendues sinueuses merveilleusement mis en image par Alberto Rodriguez, se dessine donc une enquête dont les ficelles ne surprennent pas véritablement, mais dont le rythme, tantôt léthargique tantôt précipité, nous tient en haleine avec une impressionnante efficacité.

Confronté aux luttes de pouvoir locales, aux trafics, aux non-dits, mais aussi à une forme de soumission et d’abandon des habitants du village, nos deux policiers se débattent pour percer les secrets et dénicher des pistes, sans jamais vraiment parvenir à déstabiliser ce mode de fonctionnement issu d’un autre temps.

Déjà remarqué avec son précédent film, Groupe d’élite (qui filme un groupe de flics chargé d’éliminer le trafic de drogue à Séville avant l’Exposition universelle de 1992), Alberto Rodriguez confirme qu’il est l’un des réalisateurs clé du cinéma policier espagnol. On retrouve aisément dans son travail l’inspiration d’une série comme True Detective, qui cartonne en ce moment un peu partout. Mais Rodriguez a le talent de la mesure, que l’on ne trouve pas nécessairement chez ses homologues américains. Et en cela, il ressemble beaucoup à ses deux personnages. Sa force réside dans une forme de discrétion, de silence, d’étouffement même. On observe, on découvre, on comprend par les seules failles qui craquèlent, tout au long du film, la carapace immobiliste et terrifiée d’un village.

Marie

J'aime prendre le train, lire et marcher en même temps, manger des gâteaux chinois au soja achetés dans un magasin douteux de Belleville, cueillir des mûres, lire des histoires de princesse à mes princesses, lire des histoires de prince à mon prince, zoner dans les boutiques de musée, dénicher des aimants de frigos ringards à la fin des voyages, écouter Glenn Gould et Nigel Kennedy, faire du vélo en jupe avec le vent de face…

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Une réflexion sur « « La isla minima », un polar ibérique brûlant »

  1. Je suis absolument d’accord avec toute cette analyse, et ce ressenti. J’ajoute que l’un des interêts, mineurs de ce film, c’est aussi sa vision inattendue d’une Andalousie orageuse, certes parfois brûlée de soleil, mais surtout noyée dans une pluie récurrente, dans des tons gris, sales et brumeux (et parfois montrée dans des images verticales, aériennes), une Andalousie, donc, bien différente de l’image solaire qu’on en fait d »ordinaire…

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