16 avril 2024

Kentarō Kobayashi : la poésie de la solitude

Ce soir, c’était la première de La petite vie étrange de Monsieur Potsunen, de Kentarō Kobayashi, à la Maison de la Culture du Japon à Paris. A peine rentrée du spectacle, me voici en train de tapoter fébrilement sur mon clavier afin de vous inviter/inciter, vous tous, amateurs d’humour, de poésie, de magie – et même vous, qui pensez ne pas aimer le théâtre ou le spectacle vivant -, à y aller. Vite, vite, car il ne se joue plus que demain et samedi. Ah, oui, et emmenez vos enfants pour partager avec eux ce petit bijou d’invention et d’enchantement !

Kentarō Kobayashi est une star au Japon. Membre d’un fameux duo comique nommé Rhamens, qui fait un carton là-bas, il évolue également en solo avec un personnage lunaire, Monsieur Potsunen (mot qui « décrit avec un brin de mélancolie l’état de quelqu’un qui est tout seul »), qu’il présente actuellement dans un nouveau spectacle. Tiré à quatre épingles – costume trois pièces, chapeau haut de forme, petites lunettes à la Harold Lloyd (c’est aussi le petit cousin de Charlie Chaplin et Buster Keaton, pour le côté impassible) – alors qu’il vit seul, Monsieur Potsunen est un homme a priori banal et décalé, sorte de Monsieur Hulot nippon, à qui il va arriver d’étranges aventures hautement loufoques et ingénieusement mises en scène.

Tout commence par une drôle de chasse aux insectes durant laquelle Monsieur Potsunen capture une curieuse bille lumineuse. « Si l’insecte n’existe pas dans votre manuel / soit il s’agit d’une nouvelle espèce d’insecte / soit ce n’est pas un insecte ». Chaque chapitre-saynète est ainsi introduit par un titre en forme de haïku et annonce la couleur : l’humour ici sera teinté d’absurde. La bille grossit peu à peu, se transforme en bestiole bizarre ; entre-temps, Monsieur Potsunen, après avoir assemblé une machine improbable (grand moment de cocasserie qui fera beaucoup rire les adeptes d’Ikea), descend dans les profondeurs de la terre, remonte dans une ville aux escaliers escheriens, court après un vieillard flippant… Plus tard, il essaie d’apprivoiser son nouvel animal de compagnie, connaît quelques déboires avec son appareil photo, s’emmure par mégarde dans une pièce dont le délivrera la bestiole avant de le quitter… S’ensuivra un voyage mouvementé pour la retrouver, entre terre, ciel et mer, jusqu’à l’arrivée d’un « brocoli of life » délirant.

Difficile de raconter l’histoire, elle vaut surtout par sa mise en scène. Elle n’a, quelque part, ni queue ni tête – bien qu’elle ait une progression qui a sa propre logique – et m’a rappelé le délicieux nonsense britannique que l’on trouve chez Carroll Lewis ou les Monty Python. J’ai personnellement adoré cette façon de distendre les idées pour créer des associations farfelues. Il faut le voir pour comprendre, mais certains passages (les lasers rouges qui deviennent brasero, le bruit du retardateur photo qui devient rasoir) m’ont même évoqué ce genre d’images où une idée de départ prolongée de façon incongrue déroute :

On retrouve d’ailleurs ces distorsions de perspective dans l’interaction astucieuse avec les projections vidéos et les passages très précis de la scène à l’écran – et inversement.

Kentarō Kobayashi est un artiste complet, aux talents multiples et impressionnants. Mime, prestidigitateur, formé à la lithographie (!) et mangaka (!!), il réalise également toutes les illustrations magnifiques – dessins techniques extravagants, bestiaires fantastique (on pense aussi aux collages surréalistes de Terry Gilliam) – qui défilent sur l’écran. Mêlant à son théâtre muet codes du manga et du bunraku ou théâtre noir (l’assistant tout de noir vêtu qui manipule la bestiole ou se transforme en appareil photo récalcitrant), il utilise avec intelligence la vidéo pour nous faire passer de l’autre côté du miroir, dans son univers abracadabrantesque, où son personnage est soudain représenté par une main (d’une expressivité hallucinante), tentant d’échapper, dans une course échevelée, à des monstres marins, à une nuée d’autres mains le poursuivant, dévalant des pentes, traversant des forêts de champignons géants… C’est complètement loufoque, mais tellement bien fait, que le public, charmé, rit de tout cœur. Et puis surtout, au plus profond de cette loufoquerie réside une forme d’ambiguïté (mélancolie, inquiétude sourde – le personnage du petit vieux masqué a quelque chose d’un poil malfaisant) très séduisante, qui ôte toute niaiserie à l’ensemble.

Photo de l’affiche « La petite vie étrange de Monsieur Potsunen » © Baz

Quasiment sans parole, mais limpide, cette petite vie étrange de Monsieur Potsunen est une expérience inédite, une très belle surprise. Elle devrait notamment ravir les admirateurs d’un Philippe Genty ou même d’un James Thierrée, chez qui la poésie et les trouvailles visuelles tiennent une grande place, mais ici, la performance, les prouesses (bien réelles) se font très discrètes. Cette sublime modestie (qu’on retrouve dans le « petite » du titre) mérite d’être découverte et appréciée à sa juste valeur. Ne laissez pas Monsieur Potsunen tout seul plus longtemps !

Extraits de son précédent spectacle :

Céline

J'aime bidouiller sur l’ordinateur, m’extasier pour un rien, écrire des lettres et des cartes postales, manger du gras et des patates, commencer des régimes, dormir en réunion, faire le ménache, pique-niquer, organiser des soirées ou des sorties « gruppiert », perdre mon temps sur Facebook et mon argent sur leboncoin.fr, ranger mes livres selon un ordre précis, pianoter/gratouiller/chantonner, courir, "véloter" dans Paris, nager loin dans la mer…

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Une réflexion sur « Kentarō Kobayashi : la poésie de la solitude »

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