18 avril 2024

« Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier » de Patrick Modiano

Chaque année, Modiano publie un livre, cette année, en plus il a le Prix Nobel… Tout le monde est content (enfin lui, il trouve surtout cela « bizarre »…), son éditeur, les bonnes librairies et les moins bonnes, nos chers gouvernants… et surtout ses fidèles lecteurs, ceux qui, comme moi essayent toujours de glisser un Modiano dans la poche d’un copain, qui pensent que Modiano est un des plus grands écrivains vivants…

Donc, j’ai lu le dernier cru Modiano, avant même qu’il ait le Nobel, bien sûr… Un livre de Modiano, c’est comme un grand vin, il y a de plus ou moins bonnes années, mais il n’est jamais mauvais, il faut goûter. Et puis, un livre de Modiano, c’est comme la femme qui hantait les rêves de Verlaine, ce n’est « chaque fois ni tout à fait [le] même / Ni tout à fait [un] autre ». Et c’est là le suprême plaisir, retrouver la petite musique modianesque, les petites phrases à l’imparfait, la mélancolie des longues flâneries dans Paris, errance dans l’espace, dans le temps, à la fois très précis (des dates, des noms de rue, des numéros de téléphone) et très flous, comme ces personnages, inquiétants fantômes qui reviennent d’un lointain passé (souvent l’Occupation). Des personnages toujours un peu louches, des drôles de types qui ont plus ou moins trafiqué, et des filles qui traînent avec eux, plus ou moins consentantes, qui fascinent le narrateur dans le passé et dans le présent, celles qui s’occupaient de l’enfant perdu qu’il était, celles qui vivaient un temps dans ses chambres d’étudiant puis disparaissaient, et celles qui tissent le fil mystérieux qui relie le présent à un passé confus.

Tout cela ou presque, on le retrouve dans Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Rien que le titre nous emmène en terrain familier, évoque Quartier perdu ou Rue des boutiques obscures ou Dans le café de la jeunesse perdue. Et dès la deuxième page, on se trouve 22, rue des Arcades, dans le quartier Saint-Lazare, puis dans un café, aussi, boulevard Haussmann. Seul Modiano (avec Pérec peut-être) fait de la poésie avec des noms de rue. Ce quartier, on l’a vu dans plusieurs romans, mais on ne se souvient plus très bien lesquels puisque « ce n’est chaque fois ni tout à fait le même, etc. » et aussi dans Un Pedigree, seul récit autobiographique ou revendiqué comme tel par Modiano, et encore, il n’en est plus tout à fait certain… C’est par là qu’il attendait sa mère quand elle jouait au théâtre. Et c’est justement ce détail que va évoquer le personnage Jean Daragane en se rendant dans ce quartier. Ce personnage par les yeux duquel on voit toute l’histoire est un double de l’auteur, il est aussi écrivain, mais Modiano a préféré cette fois la narration à la troisième personne, ce qui brouille les pistes. Daragane, un vrai nom ? On sait que Modiano travaille avec de vieux bottins, il y trouve des noms, des numéros de téléphone. Et à partir de ce matériau il crée un Paris réel et fantasmé, peuplé de gens avec des noms qui chantent comme ceux des personnages de Duras et qui nous semblent familiers. C’est le mois de septembre, une chaleur inhabituelle pèse sur Paris, la météo est toujours très importante dans les romans de Modiano.

L’histoire, comme souvent, pourrait être un fait divers, puisque ce Jean Daragane est contacté par un mystérieux Gilles Ottolini (la petite musique du « i »…) qui a une voix « molle et menaçante ». Ce type un peu louche, peut-être un maître-chanteur, a trouvé un carnet d’adresses et recherche un certain Torstel que Daragane aurait bien connu mais dont il ne se souvient plus… Comme souvent dans le monde modianesque, une fille, Chantal Grippay, accompagne ce Gilles Ottolini, elle est jeune, elle a la voix « rauque », elle est sans doute exploitée par cet Ottolini, elle va aider Daragane, lui donner rendez-vous dans sa chambre 118, rue de Charonne. Elle lui passe le dossier établi par Ottolini.

D’un lieu à l’autre (on partira aussi hors de Paris, à Saint-Leu-la-Forêt), d’une femme à l’autre (une autre Chantal jusqu’à celle, venue de la petite enfance, celle pour qui Daragane a écrit son premier roman, Annie Astrand), l’enquête va avancer pour tenter de la retrouver, de raccorder les temps et de retrouver le temps perdu, mais celui qui la mène, c’est Daragane, Ottolini n’a été que le déclencheur…

« Le présent et le passé se confondent, et cela semble naturel puisqu’ils n’étaient séparés que par une paroi de cellophane. Il suffisait d’une piqûre d’insecte pour crever le cellophane. »

Cette phrase du livre pourrait le résumer…

Un roman passionnant à lire mais peut-être, si on n’a jamais lu Modiano, il est mieux de commencer par des romans plus anciens, tous ceux, en poche, qu’on trouve en ce moment dans toutes les librairies…

Photo © Jean-François Robert | www.jean-francoisrobert.com

Denise M.

Pas d’état civil, ni dieu ni maître, je ne me définis que par mes passions. Pêle-mêle : Duras, Céline, Colette, Pascal et Simenon, Kundera, Modiano, Auster et Aswany et plein d’autres. Au cinéma Resnais d’abord, Tati, Fellini, Chabrol, Varda pour les vieux ; Ozon, Desplechin, Audiard, les Coen, Dolan, stop, c’est frustrant de ne pas pouvoir les citer tous. (Et les Argentins, les Japonais, les Coréens et… et…). À part ça, piéton de Paris, la seule ville où on peut vivre… et sinon me baguenauder à travers le monde, en Asie, en particulier, sans rien organiser…

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