28 mars 2024

Le monde en nous rencontre… Jean-Jacques Nuel

Au printemps dernier, nous sommes allées rencontrer et interroger Jean-Jacques Nuel, écrivain lyonnais, auteur de poèmes et textes, le plus souvent courts. Son amour de la littérature l’a poussé à créer sa propre petite maison d’édition, Le Pont du Change – hommage à l’un des tout premiers ponts lyonnais, aujourd’hui disparu, symbole évident d’échange. Animé par la passion des lettres, le plaisir des rencontres (malgré son goût pour la solitude) et l’envie de partager, faire découvrir les auteurs qu’il aime, il nous dévoile son aventure éditoriale, son quotidien de « petit » éditeur, ses projets… Un bel exemple pour tous les lecteurs/écrivains qui ont rêvé un jour de monter leur propre structure.

MarCel : bonjour M. Nuel, parlons de la genèse de votre projet, comment êtes-vous passé de l’envie de monter une maison d’édition à sa concrétisation ?

Jean-Jacques Nuel : cette petite maison d’édition, qui s’appelle Le Pont du Change, est née en 2009. Elle aura bientôt cinq ans. Ce n’est pas la première fois que je m’intéresse à des activités d’édition puisque, dans les années 90, j’avais créé une revue littéraire trimestrielle, Casse, qui a duré quatre ans, avec 20 numéros. Par ailleurs, j’écris depuis toujours, mais l’écriture, c’est très solitaire. Et j’ai toujours eu envie de pouvoir servir, éditer d’autres auteurs et d’être un peu un acteur dans ce domaine. Il y a donc longtemps que je pensais à cette maison d’édition. Elle a une activité restreinte puisque, en moyenne, elle sort 2 à 3 titres par an. Un rythme qui me convient bien.

MarCel : quelles sont les procédures pour monter une telle structure ?

Jean-Jacques Nuel : il y a plusieurs possibilités. Si on veut en faire son métier, on la lance en société ou, à la limite, en auto-entrepreneur. Moi, je suis purement associatif. Je ne voulais tirer aucun bénéfice de cette activité, seulement que « ça tourne », que les rentrées équilibrent les sorties, donc j’ai pris la solution la plus simple. Comme le seuil de rentabilité est très bas, j’y arrive.

MarCel : vous travaillez seul ?

Jean-Jacques Nuel : j’ai des auteurs qui m’aident, finalement, mais j’ai monté la structure tout seul et tous les choix éditoriaux, tous les projets dépendent de moi. Au moins, quand on est seul, on n’a de conflit avec personne. Après, dès qu’on est associé, c’est autre chose et la ligne éditoriale devient plus floue car chacun a des goûts différents…

MarCel : justement, quelle est votre politique éditoriale ? Vous semblez spécialisé dans les textes courts, les nouvelles…

Jean-Jacques Nuel : alors c’est assez curieux, je n’ai pas de politique éditoriale ! Je publie des auteurs que je connais, que j’apprécie et que je suis depuis très longtemps, et je publie des textes parce que je les aime, mais ils sont très différents : poésie, nouvelles, chroniques, mais aussi Alphonse Allais que j’ai réédité… Et bizarrement, ce sont les lecteurs qui me disent : « on sent vraiment une unité dans vos choix », alors que je ne m’en rends pas du tout compte. Je me contente de publier ce que j’aime. Ce doit être ma propre cohérence, mais moi, je ne la vois pas du tout. Au contraire, j’ai l’impression de faire des choix très divers, ne serait-ce qu’en ne me cantonnant pas sur un genre.

MarCel : comment cela se passe-t-il, on vous soumet des manuscrits ou vous allez à la recherche des auteurs ?

Jean-Jacques Nuel : les deux. Au départ, je savais qui je voulais publier. Il y a un auteur dont je vais publier le quatrième livre, Roland Tixier, un poète lyonnais, villeurbannais, que j’apprécie vraiment. En général, c’est des auteurs que je connais, notamment par les revues littéraires, que j’ai sollicités ; pas uniquement locaux, puisque Roland Counard est belge. Et il y en a d’autres, comme Frédérick Houdaer, qui a écrit des polars, s’est essayé à d’autres genres et qui, à mon avis, peut très bien passer dans la « grande édition », qui m’a envoyé un manuscrit, et ça m’a plu – on l’a un peu retravaillé.

MarCel : en tant qu’éditeur, vous avez ce rôle, justement, d’avoir un regard sur le texte, de conseiller l’auteur sur des modifications à faire ?

Jean-Jacques Nuel : oui, il ne faut pas être trop envahissant non plus… Certains auteurs, les premiers que j’ai publiés, Tixier, Cottet-Emard, ce qu’ils écrivent me paraît tellement bien que, à part mettre une virgule ou corriger une faute d’orthographe, j’ai très peu de choses à leur dire. Pour d’autres recueils, comme celui de Houdaer ou le dernier, de Marie-Ange Sebasti, j’ai fait des choix : « non, là, ce texte, je ne le sens pas, ou je ne le comprends pas », donc on a fait des substitutions de textes, parfois modifié une phrase, mais c’est à la marge. Je fais quand même confiance aux auteurs !

MarCel : quelle est la valeur ajoutée d’un éditeur à l’heure où tout écrivain amateur, via par exemple amazon, peut s’autoéditer ?

Jean-Jacques Nuel : il est vrai que maintenant, on est dans le règne de l’autoédition, une autoédition sans filtre. Tout le monde s’édite, soit en numérique, soit en « bi » : version numérique et version papier sur demande. En soi, ce n’est pas mal. Avant, il y avait cette chose horrible, le compte d’auteur, genre La Pensée Universelle, où les gens se faisaient arnaquer : on leur soutirait 2 000 ou 3 000 € pour tirer 1 000 exemplaires de leurs bouquins qui restaient ensuite dans leur garage… Au moins, là, les gens qui veulent s’exprimer peuvent avoir un livre qui existe et ne leur coûte presque rien. En revanche, le problème de cette forme d’édition, c’est qu’elle crée beaucoup d’offre sur le marché, beaucoup de livres qui, à 90 %, n’ont pas beaucoup de valeur, car ils n’ont pas été filtrés. Un éditeur a ce rôle de filtre, de « tiers légitimant ». Évidemment, il peut se tromper, il a ses choix, ses a priori, mais c’est déjà une première barrière qui permet à l’auteur de retravailler tel passage, etc. Le prestataire technique s’en fiche, lui. Donc l’éditeur, je ne pense pas qu’on pourra s’en passer.

MarCel : que pensez-vous de la « démocratisation » de l’expression, le fait que chacun puisse s’exprimer, partager son univers via un site, un blog…

Jean-Jacques Nuel : c’est bien que tout le monde s’exprime. D’un autre côté, je pense que nous ne sommes pas égaux. Ce qui est terrible, c’est de faire croire aux gens que tout se vaut. Non, tout ne se vaut pas. Moi, il y a des auteurs qui m’écrasent : Joyce, Kafka, des figures immenses – pas forcément très connues de leur vivant d’ailleurs… Je ne pourrai jamais écrire des choses comme ça ! De plus, aujourd’hui, le droit d’auteur, auquel les « anciens » sont très attachés, car c’est le fruit d’un long combat, est remis en cause par les nouvelles générations, qui veulent tout gratuit. Ça se comprend. Mais ça pose aussi des questions : est-ce qu’un très bon créateur a le droit de vivre de sa création ? Je crois que oui. Il faut qu’un grand artiste, un grand peintre, un grand musicien, un grand écrivain ait la possibilité de ne faire que ça, sans travailler 8h par jour à côté pour gagner sa vie…

MarCel : on entend partout que le marché de l’édition est tendu, super compliqué. Est-ce que, à votre niveau, vous ressentez ces tensions ?

Jean-Jacques Nuel : je suis surtout dans un petit créneau, je fais mes salons, ma propre diffusion… Je crois que l’édition marche encore à peu près bien pour les grandes maisons d’édition, qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Pour les petites maisons d’édition – pas comme la mienne, mais les professionnelles, qui sortent 20 livres par an, avec 1 ou 2 salariés -, je pense que c’est très, très dur. Déjà, il y a beaucoup de concurrence, d’offre. Je ne crois pas trop à la concurrence du Net – le livre papier, selon moi, ne disparaîtra jamais. Les nouveaux médias sont apparus, mais les anciens demeurent, chacun trouve sa place. Il y a des publics différents et surtout, des moments de lecture différents. Quand je suis allé au Japon, il y a plusieurs années, cela m’a marqué de voir les gens lire déjà à l’époque des poèmes ou nouvelles sur leur smartphone. Mais pour les beaux livres de littérature, on aime quand même bien toujours avoir une belle édition papier. Peut-être cela nous oblige-t-il à faire des livres plus esthétiques maintenant ? Le plus du papier, c’est d’avoir aussi de beaux objets, qui ont « de la gueule ».

MarCel : quels sont les obstacles, contraintes, que vous avez rencontrés ou rencontrez toujours ?

Jean-Jacques Nuel : il y a des contraintes qui autrefois existaient et qui n’existent plus de par l’évolution de la technique. Quand j’ai lancé la maison d’édition, je n’ai pas rencontré de contrainte technique, parce qu’avec les logiciels de traitement de texte, c’est désormais très facile de faire une maquette. J’ai un éditeur, Jouve, avec qui je traite uniquement par Internet, c’est à dire que je fais mon devis en ligne, j’utilise ses outils pour créer et lui envoyer mes maquettes de couvertures et intérieures… C’est très simple, tout peut se faire à distance ! Il y a très peu de contraintes financières, parce qu’avec l’édition dite numérique, on n’est plus obligé, comme autrefois de tirer 1 000 ou 1 500 exemplaires pour avoir un coût unitaire faible… et n’en vendre que 50 ! On arrive aujourd’hui à tirer de petites quantités, les investissements ne sont donc pas trop lourds. En revanche, quand on se lance, il existe d’autres limites. Déjà, la diffusion : j’ai un diffuseur uniquement pour la région Bretagne, un gars qui se lançait, qui aimait bien ce que je faisais, mais son travail est forcément modeste. Les grands diffuseurs, par définition, travaillent pour les grands éditeurs, parce qu’ils ont besoin que ça tourne, qu’il y ait du volume, du chiffre… Quelques centaines d’exemplaires, ça ne les intéresse pas vraiment. Les libraires, j’avais commencé à faire des dépôts mais ils vous reçoivent souvent mal, vous avez toujours l’impression de les embêter et puis c’est vrai qu’ils n’ont pas beaucoup de place. Après, pour relever les dépôts, c’est une vraie galère, donc c’est assez décourageant. Niveau communication, j’essaie de faire un bon service de presse cohérent, mais vu la taille de ma maison d’édition, je n’ai pas accès aux grands médias nationaux. J’ai eu de bons retours, mais sur de petits médias. On ne peut pas avoir Le Monde, Le Magazine Littéraire, etc. Donc pour vendre, j’ai un fichier de plusieurs milliers d’adresses, je fais des petits salons littéraires et également des événements : des soirées lecture. Plus de dédicaces, car à moins de s’appeler Amélie Nothomb, ça ne marche pas, mais des lectures-rencontres, dans des librairies, galeries, théâtres, lieux culturels… ça, ça marche assez bien.

MarCel : vous avez également un blog…

Jean-Jacques Nuel : j’ai un blog, mais pas de site de vente en ligne, dans la mesure où mes livres peuvent s’acheter sur la Fnac, Amazon, Decitre… Leur pourcentage est de l’ordre de 40 %, un peu plus que les libraires normaux, mais on vend pas mal par ce genre de canal… La page Facebook amène également un peu de monde, fait connaître aussi… J’ai arrêté d’envoyer des livres en pure perte aux grands médias, je n’ai jamais d’article, il vaut mieux connaître quelqu’un… d’où l’intérêt d’une attachée de presse. Il faudrait pouvoir en payer une ! J’ai quand même payé un graphiste pour avoir un logo, c’était important pour moi d’avoir une identité graphique, d’autant que les livres sont très sobres.

Editions Le Pont du Change - logo

MarCel : en même temps, vous n’avez pas choisi la facilité, éditer de la poésie ou des nouvelles, ce n’est pas forcément ce que les gens lisent le plus…

Jean-Jacques Nuel : c’est vrai. Mais d’un autre côté, cela me permet de faire des petits livres qui, techniquement, sont plus faciles à faire.

MarCel : et éditer des œuvres tombées dans le domaine public comme Alphonse Allais, ça fait vendre ?

Jean-Jacques Nuel : oui Alphonse Allais, je le vends un peu mieux, parce que c’est connu. Et c’est une vente qui dure. Je compte un peu là-dessus aussi. En même temps, je n’ai pas les moyens de faire assez connaître ce genre de publications. Il y aurait d’ailleurs plein de choses à rééditer !

MarCel : comment déterminez-vous le prix d’un livre ?

Jean-Jacques Nuel : il faut partir du coût unitaire de revient du livre. On part du prix de l’imprimeur, 2 ou 3 € et ensuite il faut multiplier par 3 ou 4, pour prévoir les marges des diffuseur, libraire, mais aussi les frais postaux… C’est pourquoi je fais aussi des livres très légers ! Le libraire, en général, a 35 % ; mon diffuseur, lui, prend 50 %, tout compris, avec la part du libraire incluse ; c’est un diffuseur très intéressant car souvent, cela peut monter à 60 % ! Et avec les 15 % qui partent à l’imprimeur, les 10 % à l’auteur, souvent, il reste moins de 10 % à l’éditeur !

MarCel : vous dites que vous écrivez depuis toujours. Vous avez même été édité. Est-ce que créer votre propre maison d’édition, c’était une façon de vous éditer comme vous auriez souhaité l’être ?

Jean-Jacques Nuel : c’est une bonne question. Quand j’ai créé Le Pont du Change, je ne me suis pas tout de suite édité, j’ai attendu quatre ans. C’est une question de principe. Certains éditeurs s’autoéditent copieusement et d’autres ont pour principe intangible de ne jamais publier chez eux – ce que je comprends très bien. Personnellement, je ne m’interdis rien, mais je préfère tout de même être publié chez d’autres éditeurs… C’est aussi une forme de reconnaissance… Là, il se trouvait que je me lançais dans un projet assez nouveau, l’écriture de textes courts… Maintenant, j’en ai entre 400 et 500, c’est vraiment quelque chose qui s’est développé, et je voulais faire un test, donc j’en ai isolé 80, car je voulais voir quel était l’accueil du public et de la critique. Et depuis, j’en ai publié ailleurs, notamment chez Passage d’Encres.

MarCel : parlez-nous un peu de votre court roman, Le nom, un excellent livre, qui avait reçu un accueil très positif…

Jean-Jacques Nuel : Le nom, c’est une expérience à la fois assez exaltante et malheureuse. A Contrario était un nouvel éditeur qui s’était créé à Cluny, en Saône-et-Loire, et qui avait des ambitions vraiment nationales. Donc je leur propose ce roman, ils le publient et ça part vraiment très bien puisque j’ai un bel article dans Le Magazine Littéraire, sur le site d’Arte… et puis l’éditeur a coulé immédiatement, en moins d’un an. Depuis, le livre est introuvable, mais je l’ai mis en e-book sur amazon.

MarCel : quelles sont, selon vous, les solutions ou façons de rester en vie dans un milieu qu’on dit en crise depuis plusieurs année, et puis aussi concurrentiel… ?

Jean-Jacques Nuel : pour un éditeur ou un auteur ? Pour l’éditeur, c’est de se spécialiser un peu, trouver sa niche et arriver à trouver son équilibre en faisant des salons… Moi je ne pratique qu’une forme d’édition très modeste, indépendante et artisanale à la fois… Mais quelqu’un qui veut vivre de l’édition, je lui souhaite bien du courage ! Je n’y crois pas trop. Je connais des gens qui ont travaillé dans de grosses maisons et ont ensuite essayé de créer la leur, mais ce n’est pas évident…

MarCel : ou alors il faut vraiment trouver un concept, une ligne graphique très personnalisée ?…

Jean-Jacques Nuel : surtout si on veut faire de la littérature, parce que le livre, ce n’est pas forcément de la littérature ! Les livres pratiques, eux, marchent assez bien.

MarCel : vous, vous n’avez aucune appétence pour ce genre de livre, c’est purement de la fiction ?

Jean-Jacques Nuel : non, non, moi c’est uniquement littérature…

MarCel : quels sont justement les auteurs qui vous ont influencé, que vous aimez ?

Jean-Jacques Nuel : je lis assez peu de littérature actuelle… Pour vous donner une image, quand j’étais jeune, j’allais au cinéma tous les soirs, et j’ai vu beaucoup de films qui n’avaient rien d’inoubliable ; aujourd’hui, si vous voulez y aller tous les jours, vous verrez parfois un film génial de Wong Kar Wai ou Lars von Trier, mais on se tape surtout beaucoup de navets. Et pour moi, la littérature contemporaine, c’est un peu ça, donc je reviens énormément aux classiques. Je suis très sensible au charme de Modiano, je trouve Houellebecq très intéressant, dans sa description de l’homme et du monde moderne ; mais j’aime mieux lire du Faulkner, du Chateaubriand. Et je trouve que les gens ne lisent pas assez de bonne littérature ancienne.

MarCel : pour vous, quelle serait la définition de la « belle » littérature ? Ou en tout cas, qu’est-ce qui vous touche chez un Faulkner, un Chateaubriand par exemple ?

Jean-Jacques Nuel : je dirais une littérature qui soit à la fois accessible et forte. Avec quelque chose qui nous fait décoller, qui nous fait réfléchir à notre condition, qui nous pose des questions… C’est impossible de répondre à cette question !!!

MarCel : alors disons, parmi les auteurs que vous publiez, qu’est-ce qui vous plaît ? Un univers personnel ? Un style d’écriture ? Une sensibilité ?

Jean-Jacques Nuel : souvent ce sont des auteurs qui écrivent depuis assez longtemps, pour ne pas dire très longtemps pour certains, donc qui sont arrivés à une maîtrise dans leur univers personnel. Ils ont une inspiration personnelle et ils l’ont maîtrisée. Et leur écriture reste simple. Je n’aime pas du tout une littérature intellectualisée. L’auteur n’a pas à être très intelligent sur sa création, il faut qu’elle vienne d’elle-même.

MarCel : du coup, que faut-il pour durer en tant qu’auteur ?

Jean-Jacques Nuel : pour moi, la question ne se pose pas, j’ai toujours eu envie d’écrire et j’écrirai toujours, quel que soit le succès ou l’échec que je rencontre, car c’est plus fort que moi. Maintenant j’ai arrêté mon activité professionnelle, j’écris tous les jours et de plus en plus. Ce qui fait patienter, lorsqu’on ne trouve pas d’éditeur, de grand éditeur, c’est d’être publié en revue. Malheureusement, elles sont très peu lues. Et ce n’est pas rémunéré, sauf par les revues canadiennes. Dans un tout autre genre, j’ai quand même eu la chance de participer au magazine Fluide Glacial. Mais le public de Fluide Glacial n’est pas celui de la poésie ou des nouvelles. Yves Frémion, l’un de ses piliers, m’avait écrit un bel article sur Courts Métrages… Ça ne m’a pas fait vendre un livre !

MarCel : vous indiquez sur votre blog ne plus vouloir prendre de manuscrits pour un temps, pourquoi ?

Jean-Jacques Nuel : je vais prendre une année sabbatique, ne rien éditer pendant une année. En ce moment, j’écris beaucoup et je veux vraiment avancer mes projets et en même temps réfléchir à l’évolution de la structure. L’expérience du Pont du Change est très intéressante, mais je trouve qu’il y a des limites dans la petite édition alors je me demande : est-ce qu’il ne faudrait pas s’associer avec d’autres, pour créer une maison d’édition de taille moyenne, avec un diffuseur ?… Donc je vais mettre à profit cette année pour y réfléchir !

Avis sur quelques ouvrages
de Jean-Jacques Nuel / Le Pont du Change

par Céline

  • Le nom, Jean-Jacques NUEL, éd. A Contrario, 2005 (disponible sur amazon) : un court roman, inclassable, d’une grande originalité et d’une écriture remarquable, sur la « panne d’inspiration » d’un auteur (l’auteur lui-même ?) qui décide, dans une illumination, d’utiliser son nom comme matière première et unique de son oeuvre. Dans un crescendo savamment maîtrisé, mené sur 7 jours – comme la création divine – +1 pour l’épilogue, sur un sujet pourtant très ténu tenant sur quatre lettres, Jean-Jacques Nuel nous fait ressentir, durant une grosse centaine de pages, le sentiment de vide de son personnage, puis sa griserie touchant au délire, en nous tenant constamment en haleine. Pari difficile pour ce qui ressemblait plutôt au départ à un exercice de style. L’idée est brillante, la langue d’une précision impressionnante et pourtant poétique – teintée de cette ironie douce-amère où pointe une forme d’absurde/tragique assez poignante, que l’on retrouve dans nombre de ses textes courts -, et le résultat finalement vertigineux (mise en abyme). Une oeuvre pénétrante, dans laquelle Kafka aurait rencontré le Chef d’oeuvre inconnu de Balzac et pourquoi pas le Murakami de Saules aveugles, femme endormie, où le réalisme côtoie un peu le fantastique, où, dans le banal, surgit l’insolite. Un grand court roman qui dit beaucoup sur la création, l’art, et au-delà, sur nous-même, notre relation à notre identité… A découvrir absolument !

« Il regardait l’apparition. La concrétion d’encre. Il considérait la figure du mot, en examinait la ligne et le relief, la silhouette, la robe, la forme extérieure. Comme un peintre qui prend de la distance avec son tableau pour mieux en apprécier les proportions ou en discerner les défauts, il se leva et recula de quelques pas, jusqu’à ne plus voir sur le cahier qu’une forme incertaine et sombre. Le mot n’était plus lisible (à l’instar des plus petites lettres du tableau dans le cabinet de l’oculiste) ; l’auteur ne le déchiffrait plus que par mémoire. A travers le vague tremblé des signes noirs, il en reconstituait le sens. Mais il voyait très bien malgré la distance la quatrième et dernière lettre, sur la droite, dépasser les autres de sa hauteur triple, comme dans un paysage lointain le clocher d’une église domine les maisons environnantes.
Il revint à sa table de travail et saisit le stylo, décidé à reprendre son ouvrage. L’inspiration n’était pas revenue pour autant, après l’écriture de ce nom qu’il considérait comme un accident, une fantaisie. Une récréation. Il ne trouva pas de suite. Sa tête était vide, occupée par ce vide souverain qui l’avait envahie depuis le matin. Il n’y avait pas d’autre suite à ce nom isolé que ce blanc sur la gauche, ce blanc sur la droite, ce blanc au-dessus et au-dessous, ce blanc de toutes parts, cette absence de texte avant et cette absence de texte après, ce silence de la page, aucune autre suite à ce nom qui semblait se suffire à lui-même. »

Le nom (2005)
  • Le mouton noir, Jean-Jacques NUEL, Passage d’encres, 2014 : bref recueil de brefs textes sur la condition d’écrivain – un complément au Nom ? – dans lequel on retrouve, en filigrane, le portrait (vrai ou faux ?) de l’auteur. Des textes ultra courts, parfois sans véritable chute, qui sembleront parfois un peu « WTF? » aux personnes totalement insensibles à la petite musique de l’absurde. Personnellement, j’ai beaucoup aimé cette prose décalée, espiègle avec discrétion, ces petites saynètes mi-figue mi-raisin, « ni ni » (ni vraiment drôles ni vraiment tristes). Un joli numéro d’écrivain équilibriste.
  • Tu écris toujours ?, Christian COTTET-EMARD, Le Pont du Change, 2010 : « manuel de survie à l’usage de l’auteur et de son entourage », toujours sur la condition d’écrivain (une thématique filée sans intention, mais le hasard fait bien les choses). Un recueil fantaisiste de conseils pour maintenir une vie harmonieuse si vous êtes écrivain – ou si vous partagez la vie d’un écrivain. Un humour presque british, très drôle.

Salons et lectures à venir :

  • 8 octobre 2014, 19h : lecture (auteur) à La librairie La Lucarne des écrivains, 115 rue de l’Ourcq, 75019 PARIS
  • 13 novembre 2014, 19h : lecture (auteur et éditeur) Jean-Jacques Nuel et Roland Tixier, Galerie Mandon, 3 rue Vaubecour, 69002 LYON
  • 29 novembre 2014 : Salon du livre d’Ozoir-la-Ferrière (77) (éditeur)

Pour en savoir plus :

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